L’œuvre de Claude Bertrand est avant tout une histoire d’émotion. Si les tableaux que l’on peut découvrir au détour d’une exposition ou dans son atelier, niché au creux de la nature, sont la traduction des riches voyages qu’a effectués l’artiste, ils sont aussi une invitation à partir soi-même, au-delà des coloris, de la vibration organique de chacune de ses compositions généreuses, dans lesquelles l’espace est intégré mais où la lumière est allusive, immatérielle. Les paysages de Claude Bertrand exaltent avec bonheur les couleurs et révèlent une certaine aspiration à la contemplation.
Comme elle le dévoile elle-même : « C’est un travail fougueux, mes toiles partent d’un élan mais ce n’est jamais forcément fidèle à ce que j’ai pu voir ». Le regardeur est dès lors en présence d’œuvres qui donnent l’essence de ce qui a été vu et ainsi une impression plus convaincante et plus juste. En explorant franchement les formes essentielles, les plus simples des choses, l’artiste peut mettre leur fondement à nu et développer par conséquent leur valeur imaginaire. Baudelaire avait écrit « l’imagination est la reine du vrai, et le possible est une des provinces du vrai. Elle est positivement apparentée avec l’infini » .
Qui, mieux que l’artiste proche de la nature qui l’entoure et dans sa solitude requise, peut saisir le rythme organique de toute chose, en surmontant la subjectivité de l’apparence extérieure de l’objet ou de la Nature ? C’est par intuition que travaille Claude Bertrand et aussi, comme elle le dit elle-même : « avec son ventre ». Le ressenti est moteur, la couleur est vitale, le rythme annonciateur. Cet infini qu’elle offre à travers son œuvre est la possibilité pour chacun de réaliser son propre parcours intérieur et émotionnel par l’image et la substance puisée dans l’expérience.
Telles des mosaïques de couleurs vives et éclatantes, les œuvres de Claude Bertrand se nourrissent d’un style pictural plein d’élan, un style personnel et reconnaissable au premier abord, qui est maintenant sien depuis plusieurs années. De ce furioso de coloris purs, vigoureux mais souvent sans contours, jaillit une facture atmosphérique de la peinture dans l’éclat moelleux de l’ensemble. L’émersion et l’évanouissement, le flou et les passages subtils dominent le tableau par des plages d’acrylique ou d’une matière qui saisit les aspects enfouis du monde qu’elle explore.
Par ces subtilités, que l’artiste maîtrise avec une sensualité et une sensibilité exacerbées, le regardeur se trouve confronté à un moment de partage autour des paysages presque cubiques, d’instants de vies évanescents. Ces fragmentations de la composition, en parcelles de couleur, font partie, pour l’artiste installée dans le sud de la France, d’un travail qui permet le renouvellement constant. Une nécessité.
Chaque espace du tableau est en soi un centre possible. Rainer Maria Rilke disait à propos de l’œuvre de Cézanne que « chaque point du tableau avait connaissance de tous les autres, tant chacun participait, tant chacun veillait à sa façon à l’équilibre, de même que le tableau entier, en fin de compte, faisait contrepoids à la réalité »2 Au centre de l’œuvre de Claude Bertrand, les couleurs vivantes et appliquées avec vélocité trouvent leur énergie chromatique dans l’abandon d’un point de vue objectif, relativisant le monde matériel et créant ainsi un espace nouveau. Elles se développent en facettes, se chevauchent ou se réunissent pour donner corps aux différents éléments de la composition. Ces explosions de bleus, verts, violets et rouges écarlates s’harmonisent, rayonnent à travers des plages, touches de matière ou collages déposés au préalable sur le support pictural, communiquant l’impression d’une chaude journée d’été ou d’un crépuscule automnal.
Longtemps influencé par l’impressionnisme, Claude Bertrand n’a cessé d’expérimenter son art de la peinture jusqu’à canaliser son inspiration dans d’autres voies explorées avec audace, à en juger la continuité avec les œuvres des périodes précédentes. Elle se découvre aujourd’hui créatrice de compositions presque abstraites qu’elle magnifie par une réelle puissance évocatrice. Résultat d’une sublimation exaltée des paysages, des êtres ?
Par cette abstraction révélatrice, les compositions, en ce qu’elles privilégient les valeurs expressives pures de la forme et de la couleur, ne possèdent plus de références figuratives. Tout alors devient Un, espace et temps, couleurs et formes, dans une entière plénitude. L’émotion est donc bien le maître mot de cette peinture contemporaine : toile après toile, c’est un poème ou une musique qui apparaît comme une unité inséparable de son créateur. L’artiste peintre Claude Bertrand offre l’opportunité au regardeur de percer à jour son œuvre et de sonder les profondeurs de son propre cheminement.
Rodolphe Cosimi Juillet 2010